Balsari Lab

1.

HUM SAB EK

(Nous ne sommes qu'un)

Cette exposition s’inspire des actions des travailleuses pauvres en Inde, qui ont survécu à l’indifférence de la société et de l’État grâce à un demi-siècle d’organisation acharnée. Hum Sab Ek (Nous sommes un) est le cri de ralliement de la Self Employed Women’s Association, forte de près de 3 millions de membres, qui prospère au confluent du mouvement ouvrier, du mouvement coopératif et du mouvement des femmes.

Les installations, conçues par les membres de SEWA et des étudiants diplômés de Harvard, sont basées sur une recherche comprenant 30 heures d’histoires orales et une enquête auprès de plus de 1000 ménages, examinant l’impact de la pandémie sur la vie des pauvres.

L’histoire de la réponse de SEWA à la pandémie est importante parce qu’elle dévoile d’autres conceptions des contrats sociaux, des obligations mutuelles, et de la dignité dans le travail. Cinquante ans d’autonomisation des femmes et de prise en compte des besoins des pauvres dans toutes les décisions ont permis à ces femmes de faire face à la plus grande urgence de santé publique de notre époque, alors que les structures politiques, économiques et sociales dominantes les avaient laissées tomber. Pendant la pandémie, les membres de SEWA ont surmonté la fracture numérique, contesté les politiques injustes de l’État, atténué l’insécurité alimentaire croissante, mené des campagnes de vaccination, éduqué leurs enfants, protégé les salaires et même lancé un nouveau produit d’assurance pour protéger leurs travailleurs contre les chaleurs extrêmes. Sans s’encombrer du luxe de la confirmation, ils ont fait ce qui était opportun, ce qui profitait aux autres et ne nuisait à personne. Ces leçons, tirées des plus pauvres d’entre nous, nous rappellent que les nouveaux paradigmes que nous cherchons à substituer aux règles d’engagement actuelles sont déjà en train de fleurir.

2.

Elaben Photograph

Célébration de la politique nationale pour les vendeurs de rue, Ahmedabad, 2004

Les vendeurs de rue sont une caractéristique familière des paysages urbains et ruraux de l’Inde, apportant des fleurs fraîches, des fruits et des légumes au cœur des quartiers de toute l’Inde. SEWA a inventé le terme de « marchés naturels » pour désigner ces marchés qui évoluent de manière organique et qui sont constamment menacés de harcèlement policier et d’expulsion. Depuis 1995, l’Alliance internationale des vendeurs de rue, qui regroupe des représentants des cinq continents, demande aux gouvernements du monde entier d’élaborer des politiques qui reconnaissent et protègent les vendeurs de rue. SEWA a travaillé avec l’Association nationale des vendeurs de rue en Inde (NASVI) et le gouvernement pour contribuer à l’élaboration de la politique nationale sur les vendeurs de rue en milieu urbain.

Cette photographie enthousiaste illustre le moment où la politique a été finalement annoncée en 2004. Elaben Bhatt (1933-2022), fondatrice de la SEWA, partage sa joie avec ses “sœurs” (bens), Manjulaben Patelia à sa gauche, et Manaliben Shah, aujourd’hui secrétaire nationale de la SEWA, à l’arrière-plan et à droite. Elaben a noté dans ses écrits que « l’organisation, la base de SEWA, est le processus par lequel les femmes se rassemblent en solidarité les unes avec les autres. Elle renforce chaque femme, la libère de ses peurs et crée des liens de fraternité au-delà des castes, des religions, des districts, des États et même des pays.»

3.

Chronologie des 50 ans

Près de trois millions de travailleuses indiennes appartiennent à la Self Employed Women’s Association (SEWA), un syndicat qui à été fondé en 1972. Depuis ce moment-là, SEWA a organisé des femmes pauvres dans toute l’Inde, cherchant le “plein emploi” pour ses membres. Grâce à la solidarité, à la coopération mutuelle et au leadership des femmes, ces artisanes à domicile, vendeuses de légumes, recycleuses de ferraille, agricultrices, ouvrières du bâtiment et cuisinières ont créé de petites entreprises, mis en place des institutions de microfinancement, influencé les lois nationales et informé les politiques internationales. Leurs actions ont bouleversé l’emprise structurelle sur leur vie, leur offrant des libertés qui leur permettent d’envisager un avenir meilleur. Les femmes de SEWA élucident des approches alternatives pour nous préparer aux défis insolubles qui nous attendent.

4.

Tisser ensemble

Pendant des siècles, le Gujarat a été un centre d’innovation en matière de tissage, de teinture et de broderie. Ses textiles étaient échangés avec le monde entier bien avant que le métier à tisser Jacquard ne vienne menacer ces anciens métiers. Les économies circulaires qui soutenaient les communautés nomades et rurales sur le terrain difficile du Gujarat ont disparu avec l’arrivée de la Compagnie des Indes orientales. Au XIXe siècle, la Couronne britannique avait assujetti le sous-continent et les métiers à tisser d’Ahmedabad répondaient aux besoins de l’Empire. Le rouet ou charkha est réapparu dans la conscience nationale lorsqu’il a incarné l’appel à l’autonomie du Mahatma Gandhi et est finalement devenu un puissant symbole de la lutte pour l’indépendance de l’Inde.

Ces dernières années, la mécanisation, la numérisation et la mondialisation ont inondé le marché intérieur de produits sosies abordables que de nombreux consommateurs ont du mal à distinguer des textiles artisanaux plus coûteux mais exquis. Les consommateurs avertis, y compris les marques de créateurs internationales, continuent toutefois de soutenir et de promouvoir ces artisans locaux, dont beaucoup travaillent à domicile. La rupture de la chaîne d’approvisionnement mondiale en 2020 a anéanti la demande pour ces produits artisanaux exquis, mettant en péril la vie des artisans à domicile dans toute l’Inde.

Chaque chaîne à la base de cette exposition représente la sortie souvent solitaire d’une femme de l’enfance pour embrasser les responsabilités inattendues de la féminité. La chaîne et la trame s’unissent au fur et à mesure que les femmes s’unissent dans une coopération mutuelle, leur vie s’enrichissant dans les nombreux syndicats et coopératives de la SEWA. Le tissu s’élève pour gagner en force, en forme et en beauté, jusqu’à ce que la pandémie le vide momentanément de sa couleur. La bande sans ornement porte trois lignes représentant les trois seuls jours où le travail s’est arrêté pendant la pandémie. Les doigts qui brodaient des chemisiers, des étoles et des sacs ont appris à coudre habilement des masques pour protéger des vies et des moyens de subsistance. Soixante-dix pour cent des ménages interrogés ont reçu des masques de SEWA en 2020-21.

5.

A domicile

(A)

Pendant des siècles, le Gujarat a été un centre d’innovation en matière de tissage, de teinture et de broderie. Ses textiles étaient échangés avec le monde entier bien avant que le métier à tisser Jacquard ne vienne menacer ces anciens métiers. Les économies circulaires qui soutenaient les communautés nomades et rurales sur le terrain difficile du Gujarat ont disparu avec l’arrivée de la Compagnie des Indes orientales. Au XIXe siècle, la Couronne britannique avait assujetti le sous-continent et les métiers à tisser d’Ahmedabad répondaient aux besoins de l’Empire. Le rouet ou charkha est réapparu dans la conscience nationale lorsqu’il a incarné l’appel à l’autonomie du Mahatma Gandhi et est finalement devenu un puissant symbole de la lutte pour l’indépendance de l’Inde.

Ces dernières années, la mécanisation, la numérisation et la mondialisation ont inondé le marché intérieur de produits sosies abordables que de nombreux consommateurs ont du mal à distinguer des textiles artisanaux plus coûteux mais exquis. Les consommateurs avertis, y compris les marques de créateurs internationales, continuent toutefois de soutenir et de promouvoir ces artisans locaux, dont beaucoup travaillent à domicile. La rupture de la chaîne d’approvisionnement mondiale en 2020 a anéanti la demande pour ces produits artisanaux exquis, mettant en péril la vie des artisans à domicile dans toute l’Inde.

Chaque chaîne à la base de cette exposition représente la sortie souvent solitaire d’une femme de l’enfance pour embrasser les responsabilités inattendues de la féminité. La chaîne et la trame s’unissent au fur et à mesure que les femmes s’unissent dans une coopération mutuelle, leur vie s’enrichissant dans les nombreux syndicats et coopératives de la SEWA. Le tissu s’élève pour gagner en force, en forme et en beauté, jusqu’à ce que la pandémie le vide momentanément de sa couleur. La bande sans ornement porte trois lignes représentant les trois seuls jours où le travail s’est arrêté pendant la pandémie. Les doigts qui brodaient des chemisiers, des étoles et des sacs ont appris à coudre habilement des masques pour protéger des vies et des moyens de subsistance. Soixante-dix pour cent des ménages interrogés ont reçu des masques de SEWA en 2020-21.

(B)

(On estime à 600 le nombre de) Il y a environ 600 million de migrants internes en Inde, parmi lesquels les femmes constituent une majorité significative, poussées par la tradition qui veut que la mariée déménage après le mariage. Au-delà des limites des coutumes sociales, les motivations économiques mettent en œuvre un large dispositif , attirant les individus et les familles vers les villes dans la recherche souvent insaisissable de la prospérité. Peu alphabétisés et peu qualifiés pour répondre aux exigences de la nouvelle économie urbaine, les emplois qui les attendent relèvent en grande partie du secteur informel, sans contrat, ni avantages sociaux, ni sécurité sociale. Beaucoup vivent dans des logements instables, dormant souvent dans des abris de fortune ou sur les trottoirs.

La croissance économique de l’Inde est alimentée par le travail non reconnu des vendeurs de rue, des éboueurs, des chargeurs de tête, des ouvriers du bâtiment, des cuisiniers, des artisans à domicile, des travailleurs laitiers et des agriculteurs.

Le Teen Darwaza, illustré dans ce collage, a été construit en 1415 de notre ère, lors de la fondation de la ville d’Ahmedabad. Au fil des ans, des dizaines de marchands, de mendiants et de nouveaux régimes ont franchi ces portes, tout comme les migrants de retour en 2020. Malgré l’aggravation de l’insécurité alimentaire dans leurs foyers, les membres de la SEWA ont réagi à la situation critique des migrants de retour en collectant un roti dans chacun de leurs foyers pour nourrir leurs frères.

L’enfermement a modifié le paysage indien. Des comptes Instagram ont célébré la transformation des villes lorsque le ciel est devenu bleu et que le smog s’est dissipé. L’éphémérité de ces moments a inspiré ce collage. Il invite le spectateur à se demander quelle version du Teen Darwaza dément sa forme la plus authentique.

  • Mitul Kajaria (photographie)
  • Hiteshree Das (collage)
  • William Boles (collage)
  • Teen Darwaza, Ahmedabad, Inde, 2024, Photo originale commandée pour le projet

Vidéo:
Home Bound, 2020
Compilation de vidéos provenant de diverses sources d’information
Deepak Ramola, Cambridge, MA, États-Unis, 2024

6.

Zone rouge

Dans les centres urbains de l’Inde, des millions de personnes vivent dans des habitations d’une seule pièce, densément peuplées, qui servent à la fois de maison et d’espace de travail. D’une superficie souvent inférieure à neuf mètres carrés, ils abritent en moyenne cinq personnes. Ces quartiers défavorisés sont le creuset des rêves indiens, où la distance physique est impossible et la distance sociale inimaginable.

Des données imparfaites et des choix politiques discutables ont eu pour conséquence que des quartiers entiers ont été marqués comme zones rouges, et leurs habitants barricadés de leur environnement. Lorsque les migrants sont rentrés chez eux, que les enfants sont restés à l’école et que les températures estivales ont augmenté, les quartiers exigus – qui constituent normalement un répit par rapport au monde extérieur – ont étouffé leurs habitants.

En avril, les violences domestiques se sont multipliées. Le fait de sortir de chez soi invitait à la brutalité policière. À la SEWA, les angoisses et les incertitudes alimentées par une nouvelle maladie et des restrictions de vie sans précédent ont été aggravées par l’incapacité des femmes à être physiquement présentes les unes pour les autres dans les moments de détresse. Même au milieu des catastrophes naturelles et des émeutes communautaires dans l’État du Gujarat, la solidarité s’est d’abord exprimée simplement en se montrant et en témoignant. L’isolement n’a jamais été un remède.

7.

Vous êtes en sourdine

(A)

En mars 2020, le “temps d’écran” n’était plus un anathème, car nous nous tournions vers nos appareils numériques pour renouer des liens sociaux dans un monde physiquement éloigné. Pour de nombreuses personnes qui n’avaient jamais possédé ou utilisé de smartphones, apprendre à utiliser ces appareils apparemment intimidants est devenu une nécessité. Dans les jours qui ont suivi le blocage, SEWA s’est mise en ligne, formant ses membres à l’utilisation des smartphones, à la création de comptes, aux réunions en ligne, à l’administration d’enquêtes et à la reconstruction de leurs réseaux de solidarité et de soutien.

(B)

À la fin du mars 2020, SEWA a lancé un programme d’éducation financière numérique reliant les bénéficiaires au système financier formel et à l’accès aux transferts numériques d’argent qui suivront. Ils ont téléchargé 14 modules électroniques multilingues et formé virtuellement 4 188 maîtres formateurs à travers l’Inde. En septembre 2020, 350 prêts à taux zéro ont été accordés à des vendeurs de rue pour stabiliser leurs moyens de subsistance, et en décembre, 1 354 prêts supplémentaires à un taux d’intérêt de 2,5 % ont été décaissés, qui ont tous été remboursés depuis.

Reconnaissant que l’école Zoom n’était pas possible pour la grande majorité des enfants en Inde, un programme numérique asynchrone a été lancé dans la semaine qui a suivi le blocage, comprenant des devoirs quotidiens envoyés par WhatsApp. Les enfants ont été encouragés à s’impliquer dans leur environnement familial, à explorer l’histoire locale, à participer aux tâches ménagères, à compléter les lectures scolaires et à recycler les déchets pour en faire de l’art. Le programme a été baptisé Samay no Samman – Respecter le temps.

À la fin du mois de mars, SEWA a également lancé une ligne d’assistance télémédicale qui a été utilisée par un tiers de tous les ménages interrogés. L’application de santé Swasthya Samudaya a permis de tenir des registres de vaccination et de suivre les raisons de l’hésitation. Aujourd’hui, l’application fournit des conseils, des rappels et du contenu sur l’éducation à la santé.

Cette installation, alimentée par 338 films individuels diffusés en synchronisation sur ces 77 écrans, célèbre l’extraordinaire technologie numérique qui a permis aux sociétés de rester unies alors que la pandémie ravageait les communautés du monde entier. L’affichage fragmenté fait écho à l’existence fracturée de ces temps incertains.

  • Robert McCarthy (programmation)
  • Deepak Ramola (montage vidéo)
  • Hiteshree Das (conception)
  • Karthik Girish (visualisation des données)
  • Vidéos fournies pour cette exposition par SEWA.

Ce montage a été réalisé à partir de vidéos de réunions en ligne et de programmes éducatifs enregistrés pendant la pandémie, en 2020 et 2021.

8.

Super épandeurs

(A)

Le blocage soudain de mars 2020 a désorganisé l’approvisionnement alimentaire de l’Inde. Dans tout le pays, les produits prêts à l’emploi provenant des exploitations agricoles n’ont pas pu atteindre les marchés locaux. Les épiceries ont été fermées et la vente dans les rues a été interdite. En réponse à l’escalade de l’insécurité alimentaire, SEWA a lancé une opération massive d’aide alimentaire en mars 2020, en veillant à ce que les produits essentiels et la nourriture parviennent à ses membres. Des décennies de confiance dans le travail de la SEWA ont abouti à l’obtention de permis leur permettant de se déplacer au-delà des limites des districts. Les itinéraires de livraison de nourriture sont doublés de chaînes d’approvisionnement pour les artisans à domicile et de réseaux de distribution pour les masques et les campagnes de santé. Les Kamla Cafés de la SEWA ont servi de cuisines communautaires, fournissant des repas chauds à ceux qui n’avaient pas accès à la nourriture.

Dans les villes, les vendeurs de rue ont travaillé tard dans la nuit lorsque le couvre-feu a été levé, se précipitant vers les quelques marchés de gros (mandis) qui restaient opérationnels, endurant de fréquents passages à tabac et des expulsions. À mesure que le nombre de cas de COVID-19 augmentait, ces travailleurs essentiels, qui risquent leur vie pour que la nourriture arrive sur les tables indiennes, ont été vilipendés par les médias. Ils ont été appelés “Super Spreaders” (super épandeurs).

(B)

Les membres urbains de SEWA ont tiré parti des réseaux de distribution anciens de RUDI pour envoyer et recevoir l’aide alimentaire, les produits et les services essentiels en provenance et à destination des villages.

En travaillant en tandem avec les membres de tous les corps de métier, ils ont stabilisé la vie et les moyens de subsistance de dizaines de milliers de familles.

(C)

L’agriculture est la principale source de revenus en Inde. Trois travailleurs agricoles à temps plein sur quatre sont des femmes, car les hommes migrent aux villes pour trouver du travail. La propriété foncière des femmes reste néanmoins faible, ce qui constitue un obstacle à l’accès au crédit, aux subventions et aux droits et, en fin de compte, à la capacité de production. Les marges bénéficiaires restent minces en raison des inefficacités persistantes du marché qui favorisent les négociants au détriment des producteurs.

Afin de créer des systèmes de marché agricole efficaces, équitables et inclusifs, SEWA a créé le Réseau de distribution rurale (RUDI) en 2004, reliant directement les agriculteurs aux consommateurs en regroupant, transformant et distribuant plus de 30 produits, générant au passage de multiples opportunités d’emploi. Adeptes précoces des plateformes numériques, les RUDIbens (sœurs) envoient et reçoivent des commandes sur des appareils mobiles depuis une dizaine d’années. RUDI est aujourd’hui une entreprise agro-industrielle autonome dont le chiffre d’affaires annuel moyen s’élève à 1,2 million d’USD.

En 2015, SEWA a étendu ses opérations pour atteindre le “dernier kilomètre” urbain en lançant le projet Kamla, qui promeut des repas indiens biologiques, nutritifs et traditionnels dans les quartiers résidentiels. Le service de restauration et le centre de formation d’origine comptent désormais des cafés Kamla très fréquentés, notamment à l’Institut indien de gestion d’Ahmedabad.

9.

Tout le monde compte

(A)

"Les maladies de la population, ne sont-elles pas toujours imputables à des défauts de la société ?”
Rudolf Virchow
1848

En 2020, les dépenses de santé de l’Inde se situaient au 179 ème rang des pays, avec 2,96 % de son PIB. La mauvaise qualité des infrastructures, l’absence de responsabilisation et la fragmentation du système de santé, avec peu de contrôle, ont entraîné une mauvaise gestion flagrante. La mobilisation herculéenne de bouteilles d’oxygène et la construction précipitée de nouveaux hôpitaux et d’unités de soins intensifs n’ont pas permis d’effacer les différences d’accès aux soins entre les classes et les castes. Les taux de surmortalité liés à la pandémie en Inde étaient parmi les plus élevés au monde, mais ils restent à ce jour fortement contestés par le gouvernement.

Les investissements réalisés depuis des décennies par la SEWA dans ses communautés lui ont permis de mettre en place une réponse sur plusieurs fronts pour protéger ses membres. Leur talisman: “De quoi nos membres ont-ils besoin ? Comment cela profitera-t-il à nos membres ?” devrait être la ligne directrice qui guide les systèmes de santé partout dans le monde.

(B)

Plusieurs institutions universitaires et publiques ont échoué à leur mission en continuant à promouvoir, et même à distribuer en masse, des vermifuges, des mélanges d’épices et des traitements médicamenteux coûteux que la plupart des Indiens ne peuvent pas se permettre. L’écrasante majorité des Indiens (dont l’âge médian est de 32,4 ans en 2020) n’aurait besoin d’aucun traitement pour le COVID-19, si ce n’est des soins de soutien. La stigmatisation créée par l’identification publique des ménages positifs au COVID-19, la peur d’être emmené dans les hôpitaux et les centres de quarantaine, et la terreur de voir les patients allongés sur les trottoirs, désespérés par l’absence de lits d’hôpitaux, ont conduit à une panique générale. Ceux qui avaient les moyens ont involontairement fait grimper les prix des médicaments et des lits, ont créé des pénuries et ont risqué la ruine financière pour les masses. Dans notre enquête, les dépenses de santé étaient la deuxième raison la plus fréquente (après la nourriture) pour laquelle les gens utilisaient leur épargne ou vendaient des actifs.

Les professionnels de la santé publique reconnaissent depuis longtemps que les déterminants sociaux influencent les résultats en matière de santé. Aux États-Unis, la race, la pauvreté et l’âge sont des médiateurs clés. En Inde, les communautés rurales, les citadins pauvres et les femmes sont confrontés aux plus grands obstacles à l’accès. Pour les protéger de la désinformation et élargir l’accès aux soins pendant le lockdown, les organisations de la SEWA ont lancé des programmes de télémédecine et de télé-sensibilisation dans tout le pays, notamment dans le Gujarat, le Maharashtra, le Rajasthan, l’Uttar Pradesh, le Bihar Madhya Pradesh, Delhi et les États d’Assam, de Meghalaya et de Nagaland, au nord-est du pays, communiquant avec des dizaines de milliers de membres et leurs familles par le biais de plateformes de réunion en ligne et de WhatsApp. Les dirigeants de la SEWA se rendent dans les laiteries, les centres de collecte de lait et les marchés de rue où travaillaient leurs membres, afin d’aider à faire respecter l’éloignement physique et le masquage. Ils se sont associés à des chercheurs de l’université de Yale pour tester l’efficacité de leurs programmes de sensibilisation au masquage. En 2021, SEWA a transformé 11 de ses centres communautaires existants en centres de soins COVID-19 afin d’offrir à ses membres – dont la plupart vivent dans des logements denses – des espaces sûrs et fiables pour la mise en quarantaine. Fin 2024, une équipe de trois médecins dans l’un des centres de télémédecine avait répondu à plus de 22 000 appels de télémédecine.

(C)

10.

La charge de la preuve

(A)

Le secteur de la construction est un moteur essentiel du développement économique de l’Inde et la deuxième source d’emploi. Il emploie 71 millions de travailleurs et contribue à hauteur de 18 % du PIB à la croissance de l’Inde. D’ici 2030, le secteur de la construction devrait employer plus de 100 millions d’Indiens, en fournissant des emplois à ceux qui migrent de l’Inde rurale à la recherche d’un travail. Quatre-vingt-dix-sept pour cent des travailleurs de la construction n’ont pas de contrat officiel et seuls 2,5 % bénéficient de prestations de sécurité sociale.

(B)

Au cours des cinq décennies d’existence de SEWA, l’Inde s’est rapidement urbanisée, avec plus d’un demi-milliard de personnes, soit 35 % de sa population, vivant dans les villes. Ces cartes illustrant l’extension de l’empreinte urbaine de l’Inde ne rendent compte que d’une partie de l’histoire, en masquant la densité, la hauteur et la variété. Plus de 40 % des 21 millions d’habitants de Mumbai vivent dans des logements informels. Leurs bidonvilles se trouvent à proximité immédiate des tours rutilantes de la nouvelle richesse, dont les habitants privilégiés génèrent et perpétuent l’emploi informel dans leurs maisons et leurs bureaux. Ceux qui construisent les gratte-ciel de l’Inde contemporaine comptent parmi les plus pauvres, sont souvent des migrants et peuvent difficilement aspirer à un toit permanent. Sur leur lieu de travail, peu de dispositions ont été prises pour protéger leur santé. En l’absence d’eau potable et d’installations sanitaires sur les chantiers de construction de la capitale du pays, les vagues de chaleur extrême de l’été 2024 ont poussé de nombreux travailleurs migrants de Delhi à retourner dans leur ville natale.

Les pots en terre, appelés gullaks ou gullas, sont les tirelires traditionnelles des pauvres de l’ouest de l’Inde. Les maigres sommes d’argent qu’ils contiennent ne sont accessibles qu’en les brisant, tout comme la richesse astronomique générée par l’immobilier est bâtie sur le dos des ouvriers du bâtiment mal payés. Le secteur de la construction en Inde devrait atteindre 1,4 billion de dollars en 2025.

La pétition de plusieurs centaines de pages que SEWA a déposée au nom des travailleurs de la construction dans le Gujarat est reproduite ici sur fond noir. Elle est emblématique de l’impitoyable ennui bureaucratique qui sature la vie des pauvres dans le monde entier.

11.

Vers un ciel plus propre

(A)

L’impact du changement climatique sur la santé et les moyens de subsistance des pauvres passe par de multiples voies impitoyables. Des mois interminables à des températures supérieures à 100°F, tant au travail qu’à la maison, n’offrent aucun répit. Les salaires sont perdus car il fait parfois trop chaud pour travailler. Les pauvres souffrent également d’épuisement, de lésions corporelles et de fatigue mentale. Les mois chauds de l’été sont suivis par les moussons qui, ces derniers temps, sont imprévisibles et même non saisonnières, ce qui perturbe les cycles de culture et aggrave les pertes de salaire et l’insécurité alimentaire.

Le changement climatique n’est pas une réalité lointaine pour les membres de la SEWA. Leurs innovations communautaires vont des glacières pour les vendeurs de rue, des toits froids pour leurs maisons et des stations de refroidissement pour leurs communautés, à la création d’un des premiers produits paramétriques d’assurance contre la chaleur au monde.

Que signifient ces bandes climatiques ?

Les bandes climatiques situées en haut de ces panneaux ont été créées par le professeur Ed Hawkins de l’université de Reading en 2018. Chaque bande représente la température moyenne pour une année donnée, par rapport à la température moyenne sur l’ensemble de la période. Les nuances de bleu indiquent les années plus fraîches que la moyenne, tandis que le rouge montre les années plus chaudes que la moyenne. La bande rouge foncée sur la droite du graphique montre le réchauffement rapide de notre planète au cours des dernières décennies. Les bandes climatiques que vous voyez ici représentent les températures moyennes annuelles au Gujarat de 1875 à 2022 et ont été créées sur showyourstripes.info.

La communauté Agariya de Kutch migre de façon saisonnière vers le vaste désert qui était autrefois relié à la mer. Ici, d’octobre à avril, ces communautés préparent d’abord – à la main – de grandes cuves, qui sont ensuite remplies d’eau saumâtre souterraine aspirée par des pompes. En 2021, les températures estivales à Kutch ont grimpé en flèche et sont restées supérieures à 120°F, ce qui en fait l’un des endroits les plus chauds de la planète. L’eau potable que les Agariyas avaient transportée dans les marais salants de l’intérieur est devenue trop chaude pour être bue, et la nourriture qu’ils avaient apportée s’est gâtée en l’absence de réfrigération. SEWA a réagi en construisant des réservoirs d’eau souterrains et en transportant des pastèques pour assurer l’hydratation et l’alimentation temporaire.

La SEWA travaille depuis longtemps avec ces communautés et y investit. De petits prêts ont permis aux travailleurs d’investir dans des pompes solaires, remplaçant les pompes diesel qui les empêchaient de gagner un salaire décent. Les panneaux solaires sont ramenés dans les villages après la récolte du sel, pour alimenter les maisons en électricité. Le passage du diesel à l’énergie solaire a atténué la pollution atmosphérique et sonore, ce qui a permis aux flamants roses de reprendre leur migration annuelle à travers le Petit Rann.

Au cours de l’été 2024, les cyclones à Dubaï ont fait la une des journaux internationaux. Le même phénomène météorologique a déversé de fortes pluies sur le sel “mûr” prêt à être récolté à Kutch, détruisant six mois de travail et les salaires de l’année.

(B)

En 2023, SEWA a collaboré avec le Centre de résilience de la Fondation Adrienne Arsht-Rockefeller et Blue Marble pour créer un produit de micro-assurance contre les chaleurs extrêmes, le premier du genre. L’assurance prévoyait des transferts d’argent aux travailleurs journaliers lorsque certains seuils de température étaient atteints. N’ayant pas reçu les paiements prévus, les membres de la SEWA se sont interrogés sur le fondement de ces seuils et sur les dommages qu’ils étaient censés prévenir. Pourquoi trois jours à 110°F sont-ils pires que dix jours à 104°F? Si l’objectif était de protéger les salaires, le seuil ne devrait-il pas être plus bas puisque les fruits et légumes sur leurs chariots de distribution se gâtent plus rapidement ?

En partenariat avec des chercheurs de Harvard, 1,000 membres de SEWA exerçant huit professions suivent actuellement les micro-environnements de leur domicile et de leur lieu de travail. Ils mesurent l’impact de la chaleur et de l’humidité sur la physiologie humaine en surveillant leur propre rythme cardiaque, leur sommeil et leurs biomarqueurs, certains en continu, nuit et jour, pendant 13 mois. Des milliers de microcapteurs et de biocapteurs contribueront à redéfinir les seuils d’alerte, les conditions de travail et les mesures de protection de la santé.

Les graphiques ci-dessous présentent les premiers résultats obtenus en 2024. Alors que les températures estivales oppressantes commencent à baisser avec l’arrivée de la mousson, l’augmentation concomitante de l’humidité maintient la température du globe humide – un indicateur sensible de la façon dont les humains perçoivent la chaleur – à des niveaux bien supérieurs aux seuils recommandés pour le bien-être humain. Cette étude, la plus importante du genre, comblera les lacunes dans notre compréhension de l’avenir incertain auquel nous sommes confrontés. Il s’agit d’une contribution au monde de la part de certaines des communautés les plus pauvres et les plus touchées par le changement climatique.

Données: Membres de l’Association des travailleurs indépendants, analyse et visualisation: Felipe González Casabianca, Robert Meade et Hiteshree Das.

Le National Weather Service des États-Unis considère qu’un indice de chaleur supérieur à 105°F est dangereux, et qu’un indice de chaleur supérieur à 130°F est extrêmement dangereux pour la santé et le bien-être de l’homme.

(C)

Dans son livre Anubandh: Building Hundred Mile Communities, la regrettée Elaben Bhatt décrit ce qu’elle appelle l’économie de la nurturance “ Elle ne pille ni le capital humain ni le capital naturel, mais les restaure et les fait croître.”

En 2022, l’association des femmes indépendantes a célébré 50 ans de solidarité. Un banian a été planté dans le parc où les chargeuses de tête s’étaient réunies pour la première fois en 1971, après avoir obtenu des marchands de tissus des salaires plus justes. Les membres de SEWA ont exposé leur vision pour les 50 prochaines années – une vision pour une économie plus douce, plus inclusive et plus responsable. Ils ont baptisé leur message “Clean Skies” (un ciel propre).

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